« Chief Data Officer »… Un de ces postes qui n’existait pas il y a encore 20 ans, LE poste tendance pour la transformation digitale des entreprises. Aujourd’hui, on mesure tout, on analyse tout : la disponibilité du matériel roulant, la réalisation de la maintenance mais aussi les données financières de SNCF… Ainsi, entre l’exigence de transparence et la prochaine ouverture à la concurrence, ce métier est plus que jamais indispensable. Comment en effet favoriser l’ouverture et la transmission des données en interne, tout en préservant la valeur stratégique des données SNCF face aux entreprises externes ? C’est le défi que tente de relever Hélène NAUDON.
Crédit photo SNCF
Bienvenue dans le monde merveilleux des chiffres, des données, des lignes de codes et des tableaux Excel. Un monde obscur réservé aux initiés ? « Pas du tout » répond Hélène Naudon. Pour cette ancienne élève de l’ENSAE (École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique), la donnée est avant tout une manière de « factualiser le monde ». « [Si les données n’expliquent] pas tout de l’humain, elles permettent d’approcher le réel, de travailler en se basant moins sur le ressenti qui peut être biaisé », constate-t-elle. Mettre « la Data » au cœur d’une organisation, c’est initier un changement de culture qui permettra d’inventer les métiers de demain et de gagner en performance. Tout le monde, à un niveau ou un autre, est concerné.
La première mission d’Hélène et de son équipe est donc de faire émerger les données puis de vérifier qu’elles soient de qualité. Tous les métiers produisent des données, souvent pour leur propre usage, mais ne les partagent pas forcément à d’autres, n’imaginant pas que cela puisse aider d’autres métiers. À Hélène, formée chez ENGIE à l’Excellence Opérationnelle et au conseil en stratégie, d’impulser une vision transverse en encourageant les rencontres et les échanges entre les différents acteurs, en les aidant dans la gestion de leurs données.
Ensuite, il faut les rendre accessibles aux personnes capables de les valoriser (experts, ingénieurs, etc.), afin de produire des innovations elles-mêmes créatrices de valeur. Parmi les données qu’elle gère : celles de maintenance des trains, mais aussi les données des fonctions supports générées par les services des ressources humaines ou des achats par exemple. Bref, des milliers de données, de différents types, plus ou moins sensibles. Protéger et sécuriser les données coûte cher, il faut donc identifier leur degré de « criticité » pour adapter la sécurité.
« La connaissance est la clé du pouvoir, de la sagesse » écrivait Confucius. Dans un environnement ferroviaire de plus en plus concurrentiel, cette phrase est encore plus vraie. Pour mieux partager et faire remonter les données, un portail unique regroupant toutes les demandes de données liées au Matériel a été mise en place depuis un trimestre. Baptisé « Data’Idées » il est accessible à tous en interne et permet de façon très simple d’effectuer une demande d’accès à des données en précisant l’usage à venir.
Une fois la demande envoyée, elle est analysée par l’équipe d’Hélène : la personne souhaite-t-elle une extraction, un flux informatique ? Le demandeur est-il légitime ? La donnée n’existe-t-elle pas déjà ailleurs ? En centralisant les demandes la Chief Data Officer peut faire émerger une solution qui répondra à plusieurs usages différents. C’est du temps et de l’argent gagnés mais aussi plus de collaboration.
Hélène accompagne également des projets portés par les établissements, comme le Technicentre des Pays de la Loire, qui a développé une application (« Eurêka ») de recherche de pièces en texte libre (à la manière de Google). En inscrivant par exemple « accoudoir », l’agent trouve le symbole de la pièce et sa référence précise, il n’a plus qu’à passer sa commande. Un gain de temps considérable, quand il fallait auparavant feuilleter plusieurs pages de documentations techniques. Aujourd’hui à la Direction du Matériel, il existe plus de cent applications informatiques (opérationnelles et support), de taille et de complexité variables. Un quart d’entre elles environ traitent d’informations potentiellement sensibles.
Enfin, agréger les données permet aussi d’aider les ingénieurs dans leurs décisions stratégiques. Par exemple, le Data Office construit un tableau de bord stratégique de suivi des coûts des pièces, à partir des données réparties entre les Technicentres de Maintenance et Industriels, pour avoir une vision la plus précise possible du coût d’une pièce. Pour établir un le montant juste, il faut savoir à combien revient une intervention en Technicentre, mais aussi le manque à gagner pour l’exploitant en cas de panne et donc récupérer les données liées à des métiers différents, les compiler et les mettre à disposition des ingénieurs qui obtiennent ainsi une vision globale et à long terme du coût de la pièce. Ils peuvent ensuite tester des hypothèses différentes pour l’optimiser.
Hélène aime travailler avec différents métiers et encourage les échanges : « Les données incitent au partage, la valeur des données est dans l’échange. Plus j’ai d’informations, plus je peux créer de valeur. » Si les données du Matériel circulent de plus en plus facilement en interne, elles sont également courtisées à l’externe. Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence un projet de décret est en cours d’écriture, qui vise à définir les obligations de SNCF en la matière. En effet à partir de 2020, d’autres entreprises vont effectuer des opérations de maintenance sur du matériel précédemment exploité par SNCF. Il faudra donc leur fournir des informations précises et exhaustives sur l’état du matériel roulant et sur la maintenance à effectuer, afin que les transferts s’effectuent dans de bonnes conditions et en toute sécurité. L’ARAFER (Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières), qui a pour rôle de garantir à tous les opérateurs un accès équitable au réseau ferré national, veillera à ce que l’ensemble des informations soient transmises par SNCF dans les délais. Cette décision, dont les conditions précises restent encore à acter, pose la question de la préservation du savoir-faire de l’entreprise mais aussi de la capacité à délivrer, dans un délai restreint, de telles informations qui sont aujourd’hui dispersées dans différents lieux et logiciels. Les défis sont certes nombreux à relever sur le sujet de la gouvernance des données, mais ils doivent permettre d’en tirer la meilleure performance pour accompagner les métiers au quotidien.
Le parcours de Hélène NAUDON en 5 dates
2009
Double diplôme à l’Ecole Centrale de Lille et à l’ENSAE (École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique)
2009
Data Scientist chez ENGIE
2015
Consultante interne chez ENGIE, formée à l’excellence opérationnelle et au conseil en stratégie
2018
Chief Data Officer à la Direction du Matériel SNCF
2025
Poursuivre dans la gouvernance des données au sein de SNCF
3 questions à Hélène NAUDON
Comment envisages-tu la gestion des données à l’avenir ?
Différents sujets émergent concernant les données, notamment d’un point de vue éthique et environnemental. Les Data Center par exemple, utilisent de très grande quantité d’énergie. Il faut questionner notre rapport au numérique pour réconcilier l’explosion technologique et la réalité d’un monde constitué de ressources limitées. La protection des données personnelles est aussi un sujet d’actualité qui prendra de plus en plus d’importance à mesure que les usages se multiplieront.
Quelle place le digital occupe-t-il aujourd’hui ?
Nous sommes confrontés à la numérisation de tous les pans de notre existence. Pour autant, il y a encore beaucoup d’incompréhension concernant le digital. Il est important que tout le monde s’y intéresse et se sente légitime. Il faut donc réconcilier les données, leurs usages et les utilisateurs en démocratisant le sujet.
Comment l’intelligence artificielle pourrait-elle influer sur nos vies ?
Un algorithme en tant que tel n’est ni bon ni mauvais, c’est un outil. Ce qui compte c’est ce qu’on en fait, avec quelles intentions. D’années en années, les algorithmes sont de plus en plus puissants et permettent des analyses toujours plus fines. Le défi aujourd’hui c’est d’arriver à les nourrir avec des données pertinentes, de bonne qualité et non biaisées. Il faut activer les bons relais auprès des responsables métier, c’est eux qui ont les moyens et les connaissances pour comprendre, partager et exploiter les données.
UNE CARACTERISTIQUE, UN MOT, UN DICTON