C’est une histoire d’amour, de passion et d’intégration, comme la SNCF peut en compter ces 80 dernières années. L’histoire d’une jeune femme arrivée en France par hasard et qui désormais fait la fierté du Technicentre de Bischheim, en Alsace. Une histoire de conquête féministe également : Sinem Kahraman est l’une des rares soudeuses à travailler dans un technicentre.
Crédit photo SNCF
Il était une fois une jeune femme turque, âgée de 18 ans, qui part à la conquête du monde. Tout commence en 2001, lorsque Sinem Kahraman, revenue d’un séjour à Londres, rencontre son mari à Strasbourg, à l’occasion de vacances. Le couple s’installe en Alsace et Sinem travaille dans le restaurant et l’épicerie de sa belle-famille. En parallèle, elle suit une formation de caissière et travaille son français.
Un jour, à l’occasion d’une discussion, un ami soudeur l’encourage à découvrir ce métier. « Je n’avais jamais vu quelqu’un souder, je n’avais aucune idée de ce qu’était ce métier » se souvient Sinem. Avec le soutien de son mari, elle entame une formation de six mois, qu’elle valide avec succès et obtient trois qualifications. Elle reste encore aujourd’hui la seule femme de son centre de formation à avoir validé autant de certificats professionnels. Mais le chemin de l’emploi est néanmoins semé d’embûches pour les personnes issues de l’immigration, encore plus lorsque l’on est une femme dans un « métier d’hommes ». Après une dizaine de refus, elle toque à la porte du Technicentre industriel de Bischheim, qui lui ouvre non sans mal : lorsqu’elle arrive pour son entretien, le recruteur tourne les talons en découvrant que c’est une femme. Heureusement, il revient très vite et embauche Sinem.
Pour elle, c’est une plongée dans un autre monde : l’usine, les cadences, le ferroviaire. Dans un technicentre comme Bischheim, on démonte entièrement les trains après 15 à 20 ans de service pour tout vérifier et changer les pièces si besoin. Mais ce monde lui plaît et elle gravit rapidement les échelons. Au bout de 5 ans à souder l’acier, elle passe à l’aluminium des TGV Duplex. Sous ses doigts, les défauts disparaissent.
« Je n’aime pas lâcher, quand j’ai quelque chose en tête je veux le faire et pas à moitié »
Une mentalité indispensable pour s’imposer comme seule femme dans un milieu d’homme où elle doit souvent faire deux fois plus pour prouver ses compétences. Si certaines voix se sont parfois élevées pour suggérer qu’elle n’y arriverait pas, la détermination de Sinem les a vite fait taire.
Mais homme ou femme, le corps a ses limites et le travail physique de Sinem a abîmé son dos et ses cervicales : impossible pour elle désormais de continuer à souder. Le sujet est sensible et les larmes difficiles à contenir quand elle évoque avec sincérité combien « l’idée [qu’elle ne soudera plus] est dur à avaler ».
Elle a donc achevé au printemps 2018 une formation de quatre mois, à la pratique du contrôle END par ressuage, validée par un examen qu’elle a réussi du premier coup. C’est à elle qu’incombe à présent la tâche de s’assurer de la qualité du travail et de la parfaite sécurité des pièces. Mais aussi de l’accompagnement d’une nouvelle génération de soudeurs… et de soudeuses !
1 END : l’END ou contrôle non destructif est un ensemble de méthodes qui permettent de caractériser l’état d’intégrité de structures ou de matériaux, sans les dégrader, soit au cours de la production, soit en cours d’utilisation, soit dans le cadre de maintenances.
2 Ressuage : le ressuage est une méthode permettant de détecter les défauts des soudures à l’aide d’un liquide coloré ou fluorescent.
Le parcours de Sinem Kahraman en 4 dates
1996
Baccalauréat en Turquie et poursuit à l’université des études d’économie
2001
Travaille dans la restauration à son arrivée en France
2007
Soudeuse au Technicentre industriel de Bischheim (diplômée de 3 qualifications en soudure)
2019
Opératrice END ressuage Niveau 1
2025
Experte en END
3 questions à Sinem Kahraman
Comment percevez-vous l’arrivée de robots, par exemple pour effectuer des soudures ?
Les robots en matière de soudage existent déjà depuis plusieurs décennies et ne sont pas en mesure de remplacer l’être humain en maintenance ferroviaire car trop de programmation serait nécessaire voire impossible vu la complexité et la diversité de la plupart des réparations !
Qu’est ce qui a changé dans votre métier ?
L’arrivée de postes à souder de plus en plus performants (connectés, avec des écrans tactiles etc …) ainsi que la digitalisation des comptes rendus après les opérations de soudage. Il y a également un suivi de chaque soudeur très spécifique du fait de nouvelles normes internationales en soudure.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Ma plus grande fierté en tant que soudeuse a été de montrer qu’une femme peut rivaliser avec des hommes dans un métier très masculin et difficile au quotidien ! J’espère que mon parcours professionnel donnera envie à d’autres femmes de pratiquer ce beau métier qui reste un peu un art malgré tout et n’est pas forcément donné à tout le monde même avec beaucoup de volonté…
UNE CARACTERISTIQUE, UN MOT, UN DICTON